Michèle Houle
art
« Au temps en emporte le St Laurent »
au temps en sèment les sédiments
Les courants de l’air, propulseurs de tous les mouvements
de la vie.
Les courants changent tout sur leur passage même si quelques fois ils se faufilent de façon presqu’imperceptible. Le courant fait son chemin avec le temps; ils sont inséparables et insaisissables. On s’aperçoit de leur passage par les traces laissées ça et là : le paysage se fait alors une beauté nouvelle. Les graines et les spores changent de champs. La Nature ne triche pas. Ce fleuve imposant est fait de courants d’air qui le mettent au monde et l’amènent jusqu’à la mer pour y continuer sa transformation à travers d’autres courants plus vastes et plus profonds. Dans sa progression, ce fleuve nous rassure étant toujours là nous offrant la vie dans la beauté.
Courants permanents, courants de marée et de rivière. Courants d’arrachement. Courants d’énergie, de lumière. Courants d’air chaud, d’air froid, de brise en ouragan. Courants de brouillard. Courants de sable, courant des roches habitées, courants végétal odorant. Courants de nuages aux multiples blancs où les oiseaux utilisent tous les vents, tout en haut. Courants d’eau profonde ; les animaux marins s’y glissent tout en bas. Entre les deux, nous y vivons tout en naviguant dans les courants de nos vies. Ce fleuve me donne l’impression de voir couler l’éternité, de pouvoir lui toucher.
Courants d’idées, courants de sentiments, courants de pensées, courants de malheurs, de tricheries, d’abandons, de trahisons, courants du cœur, courants d’amitié, courants d’amours; toujours en mouvement, vivant jusqu’au délire.
En accompagnements de courants nous rencontrons :
Des fucus, dentés, évanescents, spiralés, vésiculeux
des ascophylles noueuses, des laminaires, des saccorhiza,
des agrs, des alaries, des chordas filum
ou bivalves ou gastéropodes et sur eux vivent les anthropodes balanes,
Des cirripèdes et crustacés.
les crabes, les crevettes et les gammarides
Les puces d’eau et les puces de sable,
les étoiles de mer - les poissons
et combien d’autres
Autant de courants autant de bouleversements tout au long de ce fleuve avec son golfe qui en impose, toujours, et qui surprend. J’y vois loin, j’y vois large et ça aide à voir plus vaste, à garder espoir dans cet horizon intouchable où le possible y habite. N’est-il pas le plus long estuaire habité de mille merveilles de milles secrets que je ne soupçonnerai jamais. L’eau douce et l’eau salée se fondent en une rencontre essentielle. Combien d’histoires se sont glissées dans ces courants déjà passés ?
Les courants du froid transforment cette eau en courants de glace, blanchissant le paysage aquatique qui s’entremêle alors au paysage terrestre. Sur ce grand banc de blancs s’affirment les montagnes pierreuses, les forêts vertes-noires et les traces colorées des vivants tout le long de l’eau gelée.
Les courants musicaux se croisent, s’éloignent, se chevauchent, s’entrecroisent se repoussent ou s’harmonisent pour notre plus grand étonnement, notre plus grande joie, toujours renouvelés.
Les photos prises le long du St Laurent et de son golfe me renvoient aux courants de cette nature qui contient tout. On regarde la nature selon une vision intime et une direction s’en dégage alors. Regard scientifique, naturaliste, biologiste ou artistique; regards nécessaires afin d’arriver à une rencontre primordiale entre Elle et nous. Se connaître pour arriver à vivre avec Elle le plus harmonieusement possible. La beauté fait partie des nécessités de ma vie. La beauté est porteuse d’amour, de compassion et d’éblouissement. La recherche de la beauté me fascine, me donne espoir, me conforte, me stimule. Il n’y a qu’à tourner le regard; iris qui découpent le paysage, composent ses images, trouvent ses histoires.
(”Les chants du marais” a été écrit pour la photo ”L’oiseau au marais”)
Les chants du marais
Les bulles émergeantes du sous-sol boueux
éclatent au contact des feuilles flottantes
des plumes d’oiseaux évanouis
résonnent dans les becs des pics bois et se lovent le long des branches
pour charger les nuages des vapeurs du marais.
Oreilles ouvertes au plein silence
chante-moi ces secrets perdus
ces airs de vie à peine murmurés
au bout d’un souffle mort-né
Sons des corps métamorphosés enivrants
Sons qui me chantent aussi les odeurs s’élevant des forêts
où s’y cachent les mammifères aux ronflements cariboudermiques
à demi-œil et demi, paupière avec l’horizon tout au centre
...
...
Les bateaux naufragés tout défigurés
assis dans le sable attendent
Les nageoires dansantes des visiteurs emportent les notes raisonnantes
du passé submergé
« The never ending collapsing of the low »
Les sons des marais s’assèchent presque
Ils deviennent brume mouvante
ascendante dans les courants éthérés
captés par des archets égarés
entre les ailes des oies et les rayons de lune échevelée
striés par des nuages confus
Les harmoniques glissent sur la corde raide
affleurent la canopée s’élèvent au zénith
Elles se stratosphérisent à l’unisson
elles deviennent un La
le La du marais
Bouquet olfactif provenant du marais salant a des odeurs intenses, insistantes, suant les transformations organiques débordantes d’avenir : dès qu’on accepte leu présence… on s’y habitue - surprenant. Puis un filet d’odeur de mer toute iodée s’infiltre et finie par s’imposer de tout son long.
Assumer les secousses que le vent extérieur agite, que les larmes de fond provoquent, surgissant dans un courant noir nuit d’encre. Lire les nuages au gré des souffles invisibles. Se laisser ralentir par les haut fonds imprévus. Ramer dans le courant autant que possible. Se laisser pénétrer par les élans provoquant des soleils couchants reflétant nos histoires dessinées par les nuages en trainée. Se maintenir dans le courant et naviguer jusqu’à bon port; jusqu’à la mort.